1989
2001
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>> Des
personnages agités, à l’allure de vainqueurs, sillonnent, préoccupés,
les twin towers.
Philippe Maillot peint des tours agressées dans une agitation
pathétique de panique populaire.
>> Le monde se fige devant des écrans universels
proposant dans cette fixité la fin d’une illusion. _ Philippe Maillot
laisse son cœur, ses yeux … fixer sur une pellicule, les péripéties de
la lutte des sans papiers en France.
Ainsi doit s’interroger le terme de " temps ", dans une société qui
prétend le justifier, en le résumant à une instantanéité universelle.
Illusoire " vitesse de libération ".
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…. Zébrure sanglante dans le ciel New Yorkais. Les moyens de la
rencontre universelle, du village planétaire en temps réel ont pointé
leurs nez au beau milieu de la plus parfaite symbolique de la
verticalité.
Dommages collatéraux de cette frappe violente, une lumière blafarde
éclaire dans une mise en scène rétrospective, un important travail de
création débutée dans la fin des années 8O.
Il n’y a dans ce choc frontal, ni prémonition, ni hasard malencontreux
. Au début de cet exemple, hors de ces macabres conséquences, c’est le
travail de création dans son exigeante sincérité ( et cela ne va pas de
soi ) qui présente l’intensité de sa proposition.
Grâce à cet accident conceptuel, involontairement, mais avec force,
Philippe Maillot salue l’ensemble de ses condisciples réunis sous la
bannière de l’intégrité créative.
La création est ainsi. Elle ramène très vite les évènements quotidiens
de la vie au rang de banalités. Ces traits vengeurs et généreux jetés
sur une toile, tordus dans du métal ou griffonnés sur une page de notes
ne laissent à la réalité qu’un effet répétitif, dépassé, allégories
obsolètes de ces moments intenses dans lesquels l’artiste aura légitimé
son travail. Les éléments concrets du réel sont pressurés par
l’émotivité et le profond engagement de la subjectivité de l’artiste.
Le nectar qui s’en extrait est un condensé de sens. Cet instant de
sublimation invente le futur. Plus tard des élèves médiocres mes
citoyens honnêtes en rejoueront la partition croyant découvrir des
phénomènes nouveaux. L’artiste indifférent ou attendri observera la
scène. Depuis longtemps il sera ailleurs…
Ce malentendu des rythmes et des engagements fait le plus grand bonheur
de sociétés atones. Elles y trouvent les scansions respiratoires qui
permettent leur survie.
Philippe Maillot, non par analyse pragmatique, mais engagé au plus
profond de ses sens,
perçut dès 1989 les failles qui déjà fragilisaient les tours. De
tradition, la verticalité et l’affichage arrogant qu’elle peut
véhiculer, compensait l’arrogance de ce défi vers le ciel de
l’attribution à ce lieu d’une grandeur. Simultanément, l’objectif
définissait un socle à ce dressement. Les sociétés modernes où chaque
citoyen s’autorise de sa jouissance, affirment
ainsi que " que le ciel est vide " (Charles Melman). Dès lors, les
racines constitutives de ce désir, de cette aspiration verticale
disparaissent avec cette vacuité affichée. La verticalité y perd sa
gravité. De cette dislocation des structures psychiques individuelles,
la sincérité et le trouble de l’artiste en viennent à témoigner.
Rattrapé aujourd’hui par l’histoire, Philippe Maillot, nous renvoie par
son travail à l’essentialité de la création, face à une barbarie
annoncée. De ce point de vue l’artiste engagé dans son siècle n’en est
jamais le témoin. Il laisse transpercer au-delà de la réalité, les
traits d’un futur. Ici l’artiste est libre. Résistant face au pouvoir,
il est aussi distant du " réel " du combat social. Il l’accompagne,
mais ne le regarde que comme un vestige esthétique d’un événement
antérieur auquel il aura participé.
Le propos pourra choquer. Mais les citoyens ne s’y trompent pas qui
donnent, bien souvent, quitus à chaque artiste de comportements qui
échappent à des cadres cohérents mais trop rigides pour lui.
Avec les artistes, le malentendu ne provient pas de situations
différentes mais de temporalités décalées.
La cohérence de la création est là, dans ce fil ténu qui relie entre
elles les œuvres et offre l’artiste comme un tout à l’opposé de
l’illusion d’actes isolés ou hasardeux.
Ainsi pour Philippe Maillot, le 11 septembre 2001, vit-il une
réminiscence. Dix ans après avoir perçu les craquements douloureux d’un
humanisme qui s’estompe et d’une indifférence cruelle qui vînt à
occuper les rues des grands mégapoles occidentales. Ce travail créatif
doit être lu en relation avec les autres propositions de l’artiste
durant cette période de 1989 à 2003.
Pierre LARROUY
Paris, Décembre 2002
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